Humeur : Pas de Quantic Dream dans mon Star Wars ?

Salutations citoyennes et citoyens. Ça ne vous a sans doutes pas échappé, Quantic Dream développe un nouveau jeu vidéo Star Wars nommé « Star Wars Eclipse ». Cette annonce a été faite durant le Games Award 2021, avec un teaser qui en jette… sans rien dévoiler de particulier pour autant.

Hype dans le fandom, évidemment. Il faut dire que ce teaser est beau, même s’il se contente de recycler des scènes iconiques de la saga, de Rogue One à La Revanche des Sith. Mais c’est une autre histoire.

Aujourd’hui, une partie du fandom s’élève contre l’idée d’un jeu vidéo Star Wars développé par un studio aussi sujet à controverse que Quantic Dream. Harcèlement, crunch et j’en passe, la liste des accusations semble longue concernant ce studio.

Soyons clair : cette partie du fandom a raison de le faire.

D’ailleurs, cela fait tache d’huile et d’autres médias du fandom sont entrain de vite rejoindre la cause.
Pour être honnête, lorsque j’ai vu cette annonce d’un nouveau jeu vidéo apparaitre, j’ai beaucoup hésité à la relayer. J’ai des amis gamers passionnés et je savais bien quel était le problème avec ce studio. Je ne me suis au final fendu que d’un tweet informatif, car relayer l’information de manière impartiale n’est pas l’approuver.

Mais je me pose tout de même quelques questions sur cette situation. Pourquoi s’en prendre à ce projet et ne pas s’en être prit à ceux d’Electronic Arts, dont la culture du crunch est dénoncée depuis 2004 ? Ces derniers ont proposé pas moins de 4 jeux vidéos Star Wars ces 7 dernières années (Battlefront 1 & 2, Jedi Fallen Order et Star Wars Squadron) pourtant. Et tout le fandom s’est jeté dessus, sans exception.

Je n’accuse personne ici et sûrement pas ces médias du fandom Star Wars qui ont bien raison de prendre cette position. C’est d’ailleurs cette prise de position claire de leur part qui me pousse à écrire ce texte. Je souhaite simplement élargir le débat et proposer quelque chose de plus macroscopique. Et pour cela, j’ai deux éclairages à faire :

Quantic Dream a été engagé pour développer ce jeu

Lucasfilm, filiale de The Walt Disney Company. Entreprise inclusive se battant contre toutes les inégalités quelles qu’elles soient… embauche Quantic Dream pour développer son prochain jeu (via sa marque Lucasfilm Games) ? Que se passe-t-il ici ? Personne pour taper le nom du studio dans Google avant de signer ?

Cela pose (une fois encore) la question du discours et de l’action au sein de LF. Car cela va l’encontre de toutes les valeurs portées par Lucasfilm depuis 2012.

A quel moment cela a-t-il été perçu comme une bonne idée ?

Le crunch et le harcèlement touchent presque tous les studios de jeu vidéo

De Rocksteady à EA en passant par Activision-Blizzard, Ubisoft, CD Projekt, Quantic Dream, Epic Games, et j’en passe. Pas un seul ne voit pas sa réputation entachée par ces phénomènes. Ce n’est donc pas une question de culture d’entreprise, mais de culture du secteur voire… de modèle économique.

C’est le moment où je dois assoir un peu ma « compétence » qui pourrait être vite remise en cause ici. Je vais donc vous apprendre que mon métier (dans le sens de celui qui paie mon loyer) est de former des entrepreneurs. De la petite PME à celle plusieurs centaines voire milliers de salariés. Former les dirigeants d’entreprise sur toutes les facettes qui font leur métier : gestion, management, communication, RH, droit social et j’en passe. Je fais ça depuis plus de 10 ans… et je me flatte de ne pas trop mal le faire.
Je passe mes journées avec des chefs d’entreprises (dont pas mal de femmes), de numéros deux ou trois, mais aussi de formateurs, de coachs, d’experts en ce que vous voulez, etc.

L’entrepreneuriat, je sais ce que c’est. La gestion des Ressources Humaines aussi, la résistance au changement, le développement, la structuration d’une entreprise, l’atteinte d’objectifs forts, c’est mon job.

Voilà pourquoi je pose ce constat :

L’industrie du Jeu Vidéo n’est pas « jeune » ou « immature »

EA a été créé en 1982, Ubisoft en 1986… Voilà, c’est un fait. EA est plus âgée que moi. Ce n’est pas l’industrie du podcast ou du VTC. L’industrie du jeu vidéo n’est pas jeune ou immature. Elle est clairement installée, avec des géants, des studios intermédiaires et des petits. Comme beaucoup d’autres secteurs, qui eux ont su se structurer.

Voici une grande vérité à laquelle je suis arrivé au fil de mon expérience : Pour un chef d’entreprise, nul besoin d’une convention collective, de syndicats de salariés ou tout autre chose pour respecter le droit du travail.

Le droit, c’est le droit. Tout employeur se doit de le respecter. Et si on s’est fixé des objectifs trop ambitieux pour être atteints, tant pis. C’est le rôle du chef d’entreprise de prévoir et de fixer des objectifs atteignables.

Aucun dirigeant n’a le droit de faire faire des heures supplémentaires à ses salariés sans les payer. Et même lorsqu’elles sont payées, il y a un plafond annuel et hebdomadaire à ne pas dépasser. Le harcèlement n’est pas toléré en entreprise, peu importe l’état de l’entreprise, sa taille ou son développement.

C’est la Loi, point barre.

Ce n’est pas une question de « jeunesse » d’une industrie qui a plus de quarante ans. Qualifier cette industrie d’immature, c’est la dédouaner. Et si je salue l’excellent travail de Mediapart et Canard PC sur le sujet, je suis en désaccord avec eux sur ce point : L’industrie du jeu video n’est pas « incapable de grandir », elle ne le souhaite pas. Car son modèle économique repose dessus.

Lorsqu’on décide de volontairement violer la Loi, ce à de multiples reprises, c’est de l’ordre de la culture d’entreprise. Et si toutes le font dans le secteur et que ce secteur est florissant… c’est de l’ordre du modèle économique.

Le crunch fait partie du modèle économique du jeu vidéo, un point c’est tout. Et tout gamer ou gameuse doit intégrer le fait que derrière ses jeux préférés se trouvent des gens qui triment à développer au-delà de ce qu’impose le droit du travail aux employeurs. Générant des problèmes de harcèlement, de dépression et j’en passe. Tout comme tout possesseur de smartphone doit admettre que derrière l’objet qu’il tient dans sa main se trouve parfois le travail d’enfants à l’autre bout du monde.

Dénoncer une entreprise, c’est très bien. Dénoncer la structure du secteur, c’est encore mieux.

Ce qui explique pourquoi on parle peu de jeux vidéos dans Hyperdrive de manière générale. D’ailleurs nous n’avons pas abordé les deux derniers sortis sous licence Star Wars… et nous ne parlerons sans doutes pas de celui-ci non plus. Le travers de cette industrie me répulse depuis longtemps. Et si je joue un peu à titre personnel… rares sont les jeux vidéos ou les studios dont je fais la promotion à travers ce podcast ou les autres. Ce qui ne veut pas dire que je boycotte le JV pour autant ! Simplement, c’est une industrie qui me dérange au sens large.

Ce ne sont pas les seuls

Le jeu vidéo base son modèle économique sur le crunch, tout comme le monde de la publicité (sauf qu’on appelle ça la « charrette » dans la com’) et d’autres encore. Et le fait de passer plus de quinze heures par jour dans la même pièce, alliant fatigue, stress, pression des résultats et promiscuité, génère des débordements. Débordements intolérables et qui doivent être sanctionnés de manière exemplaire… mais d’une causalité compréhensible.

Attention, comprendre n’est pas excuser. C’est chercher à déterminer la cause.
Voilà pourquoi ce Star Wars Eclipse pose problème… comme tous les précédents jeux estampillés Star Wars depuis 2012, mais aussi les prochains.

Evidemment, il y a des studios qui font ça bien. Qui respectent leurs équipes et le droit du travail, encore heureux d’ailleurs. Tout comme il y a des studios de podcast qui le font aussi (secteur réellement « jeune » en France et entaché de plusieurs scandales aussi). Mais le fait qu’il y ait des exceptions ne change pas un constat global qui fait froid dans le dos.

Le jeu vidéo doit changer son modèle économique.

Sur ces bonnes paroles, je vous laisse à vos méditations citoyennes et citoyens. Que la Force soit avec vous, à très bientôt !